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De l’importance de la langue

C’est dans les mots que nous pensons »

German philosopher Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770 – 1831), circa 1810. (Photo by FPG/Hulton Archive/Getty Images)

Cette célèbre citation du philosophe Hegel nous rappelle l’importance fondamentale de la construction du langage et son lien inextricable avec notre pensée.

♦ À quoi sert le langage ?

Le langage est d’autant plus important qu’il nous permet d’exprimer nos pensées et nos sentiments :

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots viennent aisément » nous disait le poète et penseur Nicolas Boileau. Le langage est envisagé comme un  discours intérieur qui permet la vie en société. Le langage a donc une fonction utilitaire puisqu’il permet aux individus de coopérer à l’intérieur même d’une société. Pour le philosophe Bergson, le langage a avant tout été élaboré pour permettre la coopération entre les individus qui contribue à la construction de la soiété. Toutefois, son rôle serait limité car il ne nous permet d’exprimer tout ce que nous ressentons et pensons. Autrement dit la pensée ne peut être intégralement traduite dans le langage car une pensée spontanée doit être interprétée et traduite dans des mots qui “parlent” à autrui.

♦ Le langage comme rapport au monde

Cependant, Le langage exprime avant tout notre vision du monde et il est ainsi relatif à chaque culture. Il est lié à l’histoire d’un peuple et à l’écriture. Prenons par exemple l’évolution de la langue française, d’abord considérée comme une langue vulgaire, celle du peuple – le latin étant alors, jusqu’à la Renaissance, la langue des érudits – et qui trouve progressivement des titres de noblesse avec des auteurs tels que Rabelais au 15ème siècle ou Ronsard au 16ème siècle, jusqu’`a la fondation de l’Académie française en 1635, par Richelieu, qui va alors réfléchir et définir les règles linguistiques telles que la grammaire ou l’orthographe des mots.

Pour bien comprendre un langage, il faut donc s’intéresser à l’étymologie qui révèle les origines et l’évolution d’une langue. Les linguistes générativistes estiment d’ailleurs que la grammaire est une compétence qui permet de générer de nouveaux énoncés sans le recours à l’expérience ou la mémorisation.

Nous construisons le langage au fur et à mesure que nos connaissances se développent, il est donc lié à la conscience que nous avons du réel et du monde qui nous entoure. La langue est signe d’un savoir partagé. Exemple des sciences, de l’épistémologie et de la linguistique qui est une science qui étudie le langage, comment il fonctionne, comment il est acquis et comment il est utilisé pour communiquer. C’est la description scientifique de la langue dans l’ensemble de ses manifestations.

La langue est ainsi en constante évolution et se spécifie notamment en fonction des champs de connaissance et leur déveoloppement.

Exemple de mots créés par les anthropologues : Marcel Mauss avec le Potlach.

De plus, la langue révèle la façon dont nous envisageons nos rapports avec nos semblables.

Exemples anthropologiques :

Femmes Tupi Guarani d’Amazonie
  • Chez les Tupi Gurarani : Tovaja = frère et ennemi
  • Chez Les Massai : qui signifie ceux qui parlent la langue Maa mais aussi les « élus de Dieu », faisant référence au dieu En-Kai qui a fait de ce peuple le seul possesseur de bétail sur terre, d’où la croyance que les autres les ont volés.
  • Les Aryens : terme qui signifie les meilleurs

Par ailleurs, les langues peuvent être vernaculaires ou véhiculaires (langue qui permet les échanges entre des groupes parlant des langues différentes.). Prenons l’exemple du swahili qui, bien que n’étant la langue maternelle que de 1 % des Tanzaniens, sert de langue véhiculaire pour 95 % de la population du pays, tandis que l’anglais, langue de l’ancien colonisateur britannique, n’est plus ou moins compris que par 5 % des habitants.

Enfin, la langue est fondatrice de l’identité d’un peuple, de son histoire et sa culture. Elle se définit par et pour le peuple qui se l’approprie, parallèment à son appropriation du monde qui l’entoure.

Ainsi la langue est ce qui nous permet d’exprimer ce que nous pensons et ressentons mais elle est fondamentalement liée à notre vision du monde, la façon dont nous nous le représentons et ainsi, la façon dont nous construisons notre culture et nous la transmettons. Une langue n’est pas figée, elle évolue, elle se diffuse, elle se confond avec d’autres, elle s’en différencie, elle subit des pressions et des résistances, notamment au changement. Elle peut donner naissance à des langues véhiculaires, au bi ou au multilinguisme mais elle peut aussi disparaître.

C’est donc un système complexe qui se construit dans le temps. Le dialecte, lui, est issu de l’oralité. C’est le cas du créole mauricien (Kreol morisien) qui est donc un langage vernaculaire, fondé et développé sur la langue d’autres cultures qui sont le français, en grande majorité, et l’anglais, le bhodjpuri, le hindi, etc. Son vocabulaire, sa grammaire et sa conjugaison sont donc limités mais évolutifs dès lors que l’on décide de la trssnformer. Le langage est aussi fédérateur, il fonde l’identité d’un groupe, le kreol morisien est parlé par tous les Mauriciens, mais il s’arrête aux frontières du pays et de la population. On peut donc imaginer la complexité de traduire nos pensées et nos émotions sans avoir recours à une autre langue, la limite du vocabulaire, etc. Ceci ne risque-t-il pas de limiter notre vision du monde ? Comment penser toutes les nuances d’une langue, d’un vécu, de la réalité avec le recours à un nombre limité de temps de conjugaison ? Autant de questions auxquelles le développement du Kreol et de son évolution devrait nous permettre progressivement de répondre…

 

Références bibliographiques

Georg Wilhem Friedrich Hegel – La Philosophie de l’esprit, 1805.

Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues, 1755.

Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, 1950 (1ère édition), P.U.F, 482 p.